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"Agir en juif, c'est chaque fois un nouveau départ sur une ancienne route" Abraham Heschel

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Dans La Presse

Triste destin du yiddish

June 7, 2011 12:

L'Edito
Rubrique: Politique & Société
 
 

Le yiddish n’a rien d’une langue morte. Des newsletters rédigées dans cette langue sont diffusées sur internet. Lema’an Teida en est un parfait exemple. Cette newsletter est publiée par Pinhas Kornfeld, vice-président du Forum der Joodse Organisaties (institution représentative des organisations juives d’Anvers), et membre de l’assemblée du Consistoire israélite de Belgique.

Ce dernier y rédige également un billet dans lequel il lui arrive de commenter la vie juive en Belgique. Le point de vue est clairement celui d’un Juif de la stricte orthodoxie.

Dans le n°433 du 29 avril 2011, Pinhas Kornfeld se prononce sur la cérémonie de commémoration de la Shoah (Yom HaShoah) organisée à Bruxelles par la Communauté israélite libérale de Bruxelles à la synagogue Beth Hillel. Cette cérémonie le met mal à l’aise, même s’il avoue n’avoir rien à redire sur cette commémoration et la publicité qui en a été faite sur les ondes de Radio Judaïca. Ce qui le choque, en revanche, c’est que le rabbin de la synagogue libérale ait déclaré que la communauté orthodoxe n’organisait pas de commémoration particulière pour la Shoah, ce qui est d’ailleurs exact. « Comment un Juif qui n’a pas vécu la Shoah, ni lui ni ses parents (il est originaire d’Afrique du Nord), ose-t-il nous faire la morale et se servir du Hourban (catastrophe) comme d’un bâton pour frapper le judaïsme orthodoxe ? », écrit Pinhas Kornfeld dans Lema’an Teida. Tout en rappelant qu’Hitler a fait assassiner tous les Juifs sans distinction, il poursuit son offensive antilibérale en se posant une question : « Combien de déportés juifs étaient des Juifs réformés ? Il faudrait plutôt se demander si un seul des 25.000 Juifs était libéral ou réformé ? Les 25.000 déportés auraient-ils été d’accord que l’on profane leurs noms en les rappelant dans un temple réformé ? ». Et de conclure par ces mots horribles : « Les réformés, qu’ont-ils à voir avec la Yddishkeit (judéité) ? Lorsqu’ils prononcent le mot de “Taanit Esther” (jeûne d’Esther), il serait intéressant de savoir combien d’entre eux sont vraiment juifs. Combien d’entre eux se sont convertis par un simple fax ou un e-mail ? Combien d’argent ont-ils dû payer pour cette conversion ? Et on s’étonnera que les antisémites utilisent encore la Shoah pour agresser les Juifs… ».

Ce n’est pas la première fois que Pinhas Kornfeld se distingue par ses diatribes contre les Juifs libéraux et réformés. A l’occasion du bicentenaire du Consistoire israélite de Belgique en 2007, il a tout fait pour annuler l’invitation lancée aux responsables de la synagogue libérale pour assister à la cérémonie solennelle d’anniversaire. Le pire, c’est qu’il a obtenu satisfaction au mépris des règles les plus élémentaires de politesse. Mais cette fois-ci, il atteint les sommets de la médiocrité et de l’insulte. Rien ne l’empêche de faire valoir son point de vue sur Yom HaShoah. Ce débat n’est pas neuf. Depuis les années 1960, des rabbins et des penseurs juifs se prononcent sur cette question délicate, et ce, sans jamais recourir à des propos aussi irrespectueux qu’insultants. Abraham Heschel, un grand rabbin américain ayant lutté aux côtés de Martin Luther King en faveur des droits civiques, rappelait souvent que les préjugés raciaux n’étaient que blasphème. Quant à l’insulte faite à l’homme, Heschel la condamnait
vigoureusement en soulignant que « selon le Talmud, il vaut mieux se jeter dans une fournaise ardente qu’humilier son prochain en public ».

Dans cette affaire, il n’y a rien de pire que le silence. Tant que le Consistoire ou le Forum d’Anvers ne rappellent pas à l’ordre un de leurs membres, leur responsabilité est engagée. Laisser faire, c’est être complice. Le billet de Pinhas Kornfeld apparaît comme la négation même de tout ce que le judaïsme s’efforce de transmettre depuis des siècles.

Destin paradoxal que celui du yiddish. Dans les milieux juifs laïques, où il a acquis ses lettres de noblesse grâce à de nombreux intellectuels qui l’ont utilisé comme vecteur des grandes interrogations auxquelles les Juifs étaient confrontés, on ne l’utilise plus. Dans le monde ultra-orthodoxe, le yiddish s’est maintenu comme langue vivante. Vivante, mais utilisée comme un rempart contre le monde moderne et l’ouverture d’esprit.

Nicolas Zomersztajn
Rédacteur en chef