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"Agir en juif, c'est chaque fois un nouveau départ sur une ancienne route" Abraham Heschel

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Dans La Presse

Pour une reconnaissance officielle de la complicité de l’Etat belge dans la déportation des Juifs de Belgique

September 6, 2012 10:

Rédaction en ligne

http://www.lesoir.be/debats/cartes_blanches/2012-09-06/pour-une-reconnaissance-officielle-de-la-complicite-de-l-etat-belge-dans-la-deportation-des-juifs-de-belgique-936176.php

Michel Graindorge, avocat au barreau de Bruxelles ; Eric Picard, Association pour la Mémoire de la Shoah ; William Racimora, Association pour la Mémoire de la Shoah ; Joël Rubinfeld, co-président du Parlement Juif Européen, ancien président du CCOJB

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Il est impératif que les plus hautes autorités de l’Etat reconnaissent cette vérité historique : des citoyens juifs ont été persécutés en Belgique, par la Belgique. Il est du devoir du Premier ministre et des bourgmestres de poser des gestes forts. Le Parlement doit se saisir des conclusions des études historiques et mettre sur pied une commission d’enquête parlementaire.

Septante ans après les faits, la reconnaissance officielle de la vérité historique relative à la persécution et à la déportation de Juifs de Belgique perpétrées durant l’été 1942 n’est toujours pas advenue. Certes, la conclusion assassine du processus génocidaire perpétré par les nazis à Auschwitz, Chelmno, Belzec, Sobibor, Treblinka, est connue et reconnue. De nombreux responsables politiques font le pèlerinage à Auschwitz ou au mémorial Yad Vashem en Israël. Ils y disent l’horreur que ces massacres leur inspirent et condamnent les idéologies proches du national-socialisme. Mais ce qui s’est passé chez nous est encore trop souvent ignoré ou minimisé.

Pourtant l’extermination des Juifs du pays (46 % de la population juive assassinée) est un crime contre l’humanité initié en Belgique et dont l’administration de l’Etat s’est rendue complice. Toutes les communes du royaume sur le territoire desquelles habitaient des Juifs, dans leur grande majorité des étrangers, ont docilement obéi aux ordonnances allemandes du 28 octobre 1940 « concernant les mesures contre les Juifs » (sic). Elles ont constitué le « Registre des JuifsJodenregister » en indiquant sur chaque fiche les adresses des habitants concernés. Ces documents officiels ont été livrés par des fonctionnaires belges à la police politique allemande (Gestapo). Ainsi, lorsqu’en été 1942, les autorités occupantes ont décidé de procéder aux arrestations domiciliaires des Juifs du pays ne possédant pas la nationalité belge, elles savaient sonner.

L’administration ne s’est pas montrée toujours aussi docile face aux ordonnances de l’occupant. Elle en a refusé certaines, en se basant sur la constitution, laquelle s’impose même en période d’occupation. Il y avait donc une marge de manœuvre. Jamais l’administration n’en a usé au bénéfice des Juifs.

24.906 Juifs, y compris des nouveaux-nés et des vieillards, ont été déportés depuis le camp de rassemblement de Malines par trains à destination d’Auschwitz.

Les travaux historiques pionniers de Maxime Steinberg, confirmés par l’étude « La Belgique docile » commandée au CEGES par le Sénat en 2004, établissent la terrible réalité de la complicité des administrations de l’Etat belge dans ce crime contre l’humanité.

Le CEGES expose qu’après guerre, les magistrats chargés des enquêtes relatives aux faits de collaboration ont systématiquement écarté les actes liés à la persécution et à la déportation des Juifs de sorte qu’aucun responsable belge ne fut condamné de ce chef.

Lors de la reconstruction du pays, les autorités belges cherchaient à échafauder le mythe d’un pays majoritairement résistant, solidaire et généreux. Le drame vécu par les Juifs a été systématiquement ignoré. Parmi les nombreux statuts officiels de résistants, déportés politiques, déportés pour le travail obligatoire ou réfractaires à ce même travail, aucun statut spécifique n’a été prévu pour les victimes de la Shoah, que ce soient celles qui ont vécu dans la clandestinité ou qui ont été déportées.

La gauche, à l’époque fortement influencée par l’idéologie communiste, a contribué à ce mythe. Elle rêvait d’un monde fraternel, de citoyens du monde, d’antifascisme à vocation universaliste. Elle n’incluait pas dans ses représentations le fait que les nazis ont persécuté les Juifs en tant que tels et non en tant qu’ennemis de classe. C’était la période des cérémonies consensuelles en l’honneur des Résistants et de toutes les victimes du nazisme, sans mentionner la spécificité du génocide des Juifs.

Pendant longtemps, les Juifs se sont tus, sidérés par la violence qui leur avait été faite, meurtris dans leur chair et leur esprit. Beaucoup en sont devenus incapables de refaire pleinement confiance à leurs concitoyens, de revendiquer la reconnaissance de la vérité, convaincus qu’ils ne seront plus jamais ni compris ni protégés. Certains ont décidé d’oublier leur judaïsme, d’autres de partir le vivre en Israël.

Aujourd’hui, il faut briser ce silence. Nous attendons que les plus hautes autorités de l’Etat reconnaissent enfin, clairement et précisément la vérité historique : des citoyens juifs ont été persécutés en Belgique, par la Belgique et cette faute irréparable ne fut commise par l’administration qu’à l’encontre des Juifs. Nous attendons de tous les bourgmestres concernés qu’ils prennent exemple sur leurs collègues d’Anvers, de Liège et de Bruxelles et rassemblent leurs administrés pour le leur dire officiellement. Nous attendons du Premier ministre qu’il saisisse l’occasion de l’inauguration du musée de la déportation de Malines, prévue le 9 septembre en présence du Prince Philippe, pour prononcer les paroles officielles qui arracheront enfin l’étoile infamante posée il y a 70 ans par un Etat docile sur le cœur de nos concitoyens juifs.

Il est nécessaire que le Parlement se saisisse enfin des conclusions des études historiques et mette sur pied la commission d’enquête parlementaire promise depuis 2004, afin de déterminer des projets pédagogiques, mémoriels, politiques et de solidarité avec les victimes et leurs descendants de nature à faire de ce passé une base solide pour améliorer le respect des droits de l’homme et le vivre ensemble en Belgique.

Les citoyens du pays, les victimes rescapées du génocide encore en vie, leurs descendants et la mémoire des victimes assassinées ont droit à cette reconnaissance. Nous attendons des mots justes, humbles et généreux. C’est une condition essentielle pour apaiser quelque peu les conséquences de ce terrible passé, raffermir la démocratie et permettre l’avènement de générations futures fortes des enseignements de l’histoire et plus aptes à vivre en commun