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Dans La Presse

Viande halal et casher : le rabbin Yann Boissière répond à François Fillon

March 6, 2012 12

Polémique

http://www.lemondedesreligions.fr/actualite/viande-halal-et-casher-le-rabbin-yann-boissiere-repond-a-francois-fillon-06-03-2012-2344_118.php

Episode de plus dans la polémique sur la viande halal : François Fillon a proposé hier aux religions de " réfléchir " à l’abattage rituel des animaux qu'il considère comme une "tradition ancestrale" ne correspondant plus aujourd'hui "à grand chose". Réaction de Yann Boissière, rabbin du Mouvement juif libéral de France (MJLF)

Le Premier ministre, a estimé hier sur Europe 1 " que les religions devraient réfléchir au maintien de traditions qui n'ont plus grand chose à voir avec l'état de la société aujourd'hui, de la technologie, des problèmes de santé. On est dans un pays moderne et il y a des traditions ancestrales qui ne correspondent plus à grand chose alors qu'elles correspondaient dans le passé à des problèmes d'hygiène. On pourrait y réfléchir. " Yann Boissière, rabbin du Mouvement juif libéral de France (MJLF) réagit à ces propos.

Quel est votre premier sentiment face à ces déclarations?

Je ne sais pas si un Premier ministre est qualifié pour exprimer un avis sur l'abattage rituel. Celui-ci est autorisé en France et c'est le travail des religions de savoir s'il est valable ou pas. Revenir sur ces questions, c'est empiéter sur la loi de séparation de 1905.

Ce qui me frappe dans ses propos ce sont les raisons invoquées. Que ces règles d'abattage aient été mises en place pour des raisons d'hygiène est historiquement faux. La cacherout (qui rassemble les prescriptions alimentaires dans le Judaïsme, ndlr) est avant toute chose un des piliers de la tradition juive. Ces règles ont d'abord à voir avec la religion et la sainteté.

Par ailleurs, de nombreuses études sur la douleur des animaux ont montré que l'abattage rituel ne générait pas plus de souffrance. A la base de la cacherout, il y a cette préoccupation de la souffrance de la bête. C'est pour cela que l'œsophage et la trachée artère doivent être tranchés d'un seul coup et que les couteaux doivent être bien aiguisés. Il y a deux mille ans, on se souciait déjà de ces problèmes.

La "tradition" dont François Fillon parle est-elle anti-moderne ?

L’abattage rituel fait partie de la tradition de la loi juive. Mais certains courants comme le nôtre (le courant libéral, ndlr) n'obligent pas leurs membres à le suivre nécessairement dans tous ses détails. Les religions sont faites de mouvements vivants qui suivent des appréciations différentes.

Mais la tradition n'est pas contraire à la modernité. La vision moderne dans notre société libérale, née du contrat social au XVIIIe siècle, a fait le choix d'organiser la vie des hommes sans aucun principe transcendant. La tradition, elle, fait référence à d'autres valeurs qui ne sont pas incompatibles. Et viennent compléter la vie d'un individu, qu'il soit juif, musulman, ou plus largement religieux.

Un individu vit dans plusieurs dimensions. A la fois, il vit en tant que citoyen et à ce titre il respecte la loi de l'Etat. On a un principe fondamental dans le judaïsme : "La loi de ton Etat est ta loi", c'est la compatibilité maximum. Maintenant la législation civile n'épuise pas la vie spirituelle d'un être sur terre ; et il y a d'autres valeurs que l'Etat, par définition, ne traite pas.

Je pense que la cacherout est un des champs d'application de ces valeurs "autres", par exemple de la notion de Sainteté, si problématique et à la fois si profonde et si riche. Evidement l'Etat n'en traite pas. De là à dire qu'elle est anti-moderne, c'est se méprendre complètement sur les enseignements religieux et sur ce que peut apporter la religion à un homme aujourd'hui, au XXIe siècle. Ces notions ont besoin d'être réinterrogées à chaque génération, c'est certain, mais de là à les décréter "anti-moderne", c'est une vue extrêmement rapide.

Selon vous, pourquoi François Fillon tient-il ces propos ?

Toute cette polémique a un relent désagréable. Je constate que l'on se cale sur l'agenda de certains candidats d'extrême-droite que l'on essaie de reprendre. Il y a un effet d'opportunisme tout à fait désagréable et superficiel.

Si M. Fillon était sincèrement intéressé par cette problématique, on lui ferait le crédit d'être un peu plus profond. Ces polémiques ne sont, à mon avis, pas du tout centrales. Ce n'est pas ce qui intéresse prioritairement le citoyen dans cette élection.