Accueil

"Agir en juif, c'est chaque fois un nouveau départ sur une ancienne route" Abraham Heschel

Beth Hillel Beth Hillel Beth Hillel Beth Hillel

Dans La Presse

Mensch de l'année 2011: David Meyer : Une spiritualité exigeante, un esprit libre

February 3, 2012 12

http://www.cclj.be/article/1/2759

Rabbin libéral, David Meyer incarne une pensée juive à la fois moderne et fidèle aux sources. Du dialogue interreligieux à la transmission de la mémoire de la Shoah et du génocide des Tutsi, ce rabbin exigeant a toujours assumé ses convictions en se nourrissant de la tradition juive.

David Meyer naît en 1967 à Paris dans une famille non religieuse. Sans être assimilés, les Meyer ont conservé une conscience aiguë d’appartenance au judaïsme même si cela ne se traduit pas par une pratique religieuse. Dans ce contexte, la voie rabbinique ne s’impose pas à David Meyer comme une évidence. « C’est un long processus parce que cela suppose qu’on entre dans un monde qu’on ne connaît pas et qui n’est pas celui dans lequel on a grandi », affirme-t-il. « On ne devient pas rabbin par défaut, mais une fois qu’on décide de s’impliquer de manière plus active dans la vie juive et de suivre les règles du judaïsme ». Si son choix s’est porté sur le judaïsme libéral, c’est en raison de l’attachement familial à la synagogue libérale de la Rue Copernic à Paris.

Après une licence en mathématiques et en physique à l’Université Paris-Dauphine, David Meyer entame une maîtrise en orientalisme à l’Ecole pratique des hautes études de Paris. Dans le cadre de ces études spécialisées, il décide de s’installer en Israël et de devenir citoyende ce pays. Alors qu’il vit à Jérusalem, il effectue son service militaire dans le génie et travaille comme journaliste à la radio publique Kol Israël. C’est aussi pendant ce séjour en Israël que David Meyer rencontre sa femme Jackie. Juive canadienne, elle étudie à l’Université hébraïque de Jérusalem.

Attaché à Israël

Après avoir soutenu sa thèse consacrée à l’analyse de la question palestinienne dans la presse israélienne de 1967 à 1989, David Meyer est décidé à devenir rabbin. Pour ce faire, il quitte Israël et s’installe à Londres il étudie au prestigieux séminaire rabbinique libéral, le Leo Baeck College. Cette décision n’est pas facile dans la mesure il demeure très attaché à Israël. « J’étais parti en Israël pour y vivre définitivement », avoue-t-il. « Bien que j’ai quitté ce pays pour devenir rabbin, je reste convaincu que l’avenir du peuple juif est lié à ce qui s’y passe, ne serait-ce que parce qu’une majorité du peuple juif y vit. On ne peut donc pas ignorer Israël. Et quand on voit la situation déplorable dans laquelle se trouve le judaïsme aujourd’hui en Israël, on peut s’interroger sur sa survie à grande échelle ». S’il réside aujourd’hui à Bruxelles, David Meyer nourrit le projet de retourner un jour en Israël. « On se sent pleinement chez nous à Jérusalem et c’est le seul endroit au monde où nous éprouvons ce sentiment très fort », confirme Jackie Meyer. Mais ce retour en Israël ne s’improvise pas et David Meyer et sa femme souhaitent vivre dans un Israël ouvert et tolérant à l’égard des différents courants du judaïsme, et en paix avec ses voisins palestiniens. Ce souci pour Israël se traduit très tôt par un engagement en faveur du camp de la paix qu’il prolonge encore aujourd’hui en signant en 2010 le manifeste J Call, l’Appel à la raison des Juifs européens. Dans des tribunes qu’il publie dans la presse française ou belge, il ne cesse d’exprimer son soutien critique à Israël.

Conscientiser les jeunes

Une fois ses études rabbiniques terminées avec succès, David Meyer est ordonné rabbin en 1996 (avec ses parents sur la photo) et en septembre de la même année, il exerce sa première charge rabbinique à la synagogue Beth Hillel de la communauté israélite libérale de Bruxelles. Il y reste cinq ans. Ses exigences éthiques le conduisent d’emblée à exercer cette fonction en sensibilisant sa communauté à l’impératif de transmission du judaïsme. « Je m’efforce de transmettre aux fidèles de ma communauté l’amour du judaïsme pour qu’ils aient envie de le transmettre eux-mêmes à leurs enfants. Et aussi de les responsabiliser face à cette transmission qui ne peut se déléguer ni au rabbin ni à une institution », assure David Meyer.

Pour ce faire, il s’investit énormément dans les cours de judaïsme et de pensée juive qu’il dispense à la synagogue. Il enseigne aussi l’histoire juive à l’Athénée Ganenou, où de nombreux élèves conservent de lui un excellent souvenir. Non seulement David Meyer s’efforce de transmettre une éducation juive de qualité aux jeunes de 12 à 16 ans du Talmud Torah de la synagogue Beth Hillel, mais il entend aussi les conscientiser aux problèmes de société. Avec Viviane Lipsztadt, coordinatrice au Service social juif, David Meyer organise des programmes de sensibilisation à la problématique des réfugiés et aux droits des usagers du Service social juif à l’aide sociale. « Je ne connais pas d’autre rabbin à Bruxelles qui ait lancé cette initiative. Par ailleurs, David Meyer est le seul rabbin qui a pris la peine de participer activement à des projets du Service social juif », confie VivianeLipsztadt. « Son idée était de préparer les jeunes à des responsabilités futures envers ceux qui sont défavorisés en dehors de toute notion caritative et d’appliquer dans la vie quotidienne ce que leur enseigne la Torah. Il lie ainsi la tradition religieuse à la réalité sociale ».

En raison de divergences importantes avec le conseil d’administration, il quitte la synagogue libérale de Bruxelles en juillet 2001. Il officiera ensuite comme rabbin à Brighton (Grande-Bretagne).

De Brighton au Vatican

Pendant les cinq années passées à la synagogue réformée de Brighton, David Meyer réussit à combiner son attachement à l’étude des textes à un investissement social et communautaire intense. Il est une grande source d’inspiration pour les membres de cette communauté. « Quand il prononçait un sermon, et Dieu sait qu’un rabbin doit se livrer souvent à cet exercice, ce n’était jamais creux ou superficiel. On en retirait toujours un enseignement et il suscitait un questionnement qu’on poursuivait à titre individuel », rappelle Stewart Macintosh, à l’époque présidentde la synagogue réformée de Brighton. Cette communauté a la particularité de compter un nombre considérable de personnes très âgées, Brighton étant une stationbalnéaire où vivent beaucoup de retraités juifs. « De manière irrévérencieuse, on présente notre communauté comme la salle d’attente du Bon Dieu », plaisante Stewart Macintosh. « Les personnes âgées ont adoré David, car il leur témoignait beaucoup de sympathie », se souvient Debra Goodman, toujours membre du conseil d’administration. « Il ne s’en tenait pas au minimum syndical en leur rendant de courtes visites de courtoisie impersonnelles. Il s’est impliqué énormément dans ces visites et je suis convaincue que chaque décès était un déchirement pour lui, en raison des liens étroits qu’il pouvait nouer avec ces personnes ».

En 2006, David Meyer revient à Bruxelles pour se consacrer pleinement à l’étude et à l’écriture. Il publie un nombre impressionnant d’articles dans la presse généraliste et dans des revues académiques et universitaires. David Meyer enseigne également la littérature rabbinique et la pensée juive contemporaine dans différentes universités européennes. Outre les séminaires qu’il a animés aux Facultés Saint-Louis de Bruxelles et à l’Institut d’études du judaïsme de l’ULB, il a occupé la chaire d’études des relations judéo-chrétiennes de l’Université d’Anvers. Depuis 2010, il enseigne la littérature rabbinique et la pensée juive à l’Université grégorienne pontificale de Rome.

Solidaire des rescapés Tutsi

David Meyer s’est aussi engagéactivement dans le combat pour la mémoire du génocide des Tutsi. En collaboration avec Viviane Lipsztadt du Service social juif, il organise des conférences et des groupes de paroles sur la transmission de la mémoire du génocide. Il crée par ailleurs un groupe de réflexion réunissant des rescapés tutsi du génocide de 1994 pour envisager la problématique de l’identité. A partir de ces réunions est né un projet de prise en charge des frais scolaires de rescapés tutsi au Rwanda. David Meyer a joué un rôle majeur pour recueillir les fonds en mobilisant des donateurs juifs.

Ce travail sur la transmission de la mémoire du génocide tutsi va mener David Meyer à se rendre au Rwanda. Eugène Mutabazi, président de l’association Remember Tutsi Genocide, souhaite confectionner un recueil de témoignages des rescapés du génocide et honorer la mémoire de ceux qui ont été assassinés en racontant leur histoire et en restituant la vie sociale et culturelle des Tutsi avant le génocide. « J’ai fait part de mon projet à David Meyer et immédiatement, il m’a dit qu’il voulait m’aider à le réaliser », explique Eugène Mutabazi. « Grâce à son soutien financier, je suis parti au Rwanda pour réaliser ce projet et à mon retour, il voulait savoir comment les rescapés font pour se reconstruire et réapprendre à vivre. Nous avons donc entrepris ensemble un voyage au Rwanda en 2007 ».

Au cours de ce voyage, David Meyer et Eugène Mutabazi recensent et identifient plus de 15.000 victimes du génocide dans la région de Rukumberi, où ils érigent des plaques commémoratives dans les communes décimées par le génocide. « David Meyer s’est imprégné de notre vécu et de notre réalité. En travaillant avec nous sur la mémoire des victimes du génocide, il nous a aidés à ne pas oublier les êtres chers que nous avons perdus en 1994. En les nommant et en rappelant qui ils étaient et ce qu’ils faisaient, ils sont présents dans nos cœurs et nos mémoires », insiste Eugène Mutabazi.